DDR 3 : Inquiétudes et interrogations

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Date de publication
avril-2014

DDR 3 : Inquiétudes et interrogations

Le nouveau programme de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion ( DDR III) des ex-combattants du gouvernement congolais vient de démarrer ses travaux de sa première phase. Trois centres de triage, ainsi nommés par le document officiel, et qui accueillent les ex-combattants du Kivu sont à l’ouest à Kitona (Bas- Congo), à Kotakoli (Equateur) et au sud-est à Kamina (Katanga). Les ex-combattants des groupés armés du Nord-Kivu qui s’étaient regroupés à Bweremana au bord du lac Kivu au lendemain de la défaite du M 23 en novembre 2013 sont déjà arrivés dans ces centres de triage et d’autres qui ne se sont pas encore rendus doivent suivre selon la logique de ce plan global approuvé lors de la 10ème réunion ordinaire du conseil des ministres le 26 décembre 2013.
 
Ce programme présenté en deux documents différents, le premier détaillant le plan global de ce programme[1] et le second articulant le plan des opérations[2] reflète la volonté du gouvernement congolais de désarmer, démobiliser et réinsérer les ex-combattants du Kivu selon sa propre conception et logique qui puisent dans les échecs des programmes de désarmement de 2004 et de 2009. Le ton et l’esprit sont clairement articulés par le porte parole du gouvernement, Lambert Mende quand il dit : « DDR 1 et 2 ont échoué parce que nous avons accepté d’intégrer les mauvais éléments dans notre armée suite au conseil des amis, des voisins et des bailleurs. Dans ce nouveau programme DDR III, nous n’accepterons jamais, jamais encore dans notre armée ces criminels »[3].
 
Dans ce « plan global » la supervision et l’orientation politique de DDR III sont confiées à un comité interministériel composé de dix ministres : celui de la défense nationale qui le préside, du budget, de la justice et les Droits de l’Homme, de l’initiation à la nouvelle citoyenneté, de l’emploi et le travail, de l’agriculture et développement rural, des affaires foncières, du genre , famille et enfant, et des affaires sociales.
Les ex-combattants à démobiliser sont évalués à 12.205, dont 7.321 hommes, 1221 femmes et 3.663 enfants. Notons que le nombre des enfants à démobiliser représente 30 %. Faut-il encore ajouter à ces efforts de démobilisation plus ou moins 2.600 combattants des groupes armés étrangères qui relèvent de la responsabilité de la MONUSCO[4].
 
Le « plan global DDR III » prévoit trois espaces d’opérationnalité pour son programme, à savoir, les trois centres de triage connus (Kitona, Kotakoli et Kamina), le centre de préparation à la réinsertion (CPR) jusque-là inconnu où les ex-combattants sont supposés passer au moins trois mois et enfin un espace encore imaginaire ou les ex-combattants doivent faire l’apprentissage de leur insertion socio-économique dans lequel il y aura un volet des activités de démarrage à la réinsertion et un second volet des activités de consolidation.
 
Dans les centres de triage, les ex-combattants doivent faire leur identification biométrique, le secreening médical, le vetting et la démobilisation. Dans le centre à la préparation à la réinsertion, les ex-combattants doivent avoir une éducation civique, à la citoyenneté et à la culture de la paix ainsi qu’un apprentissage aux métiers et une orientation professionnelle. La durée de réinsertion est prévue pour 12 mois y compris le séjour dans le CPR[5]. Enfin, la réintégration socio-économique des ex-combattants devra se faire dans une communauté civile. S’agit-il de leur communauté d’origine ou la communauté civile autour des centres de triage ?
En toute vraisemblance, les trois activités de ces trois espaces d’opérationnalité vont sans doute se réaliser dans les trois centres de triage au regard des difficultés de logistique entre les points de ramassage des ex-combattants dans les deux Kivu et leur transport dans les centres de triage. D’autant plus que le point 7 des principes du DDR III stipule que « la réintégration d’un démobilisé offre le bénéfice du programme à un membre de la communauté d’accueil (1 démobilisé = 1 MCA) »[6]. Ainsi le bénéfice va à la communauté d’accueil et non à la communauté d’origine des ex-combattants.
 
Une phase de sensibilisation durant laquelle les ex-combattants et la population devraient avoir l’information détaillée de tout ce processus était prévue[7], cependant l’opacité autour de ce programme soulève des inquiétudes et d’interrogations.
 
Pourquoi un triage à des milliers des km ?
 
D’aucuns se demandent pourquoi il a fallu amener les ex-combattants à des milliers de kilomètres loin de leurs familles, villages et communautés d’origine pour les opérations de triage alors que l’on sait pertinemment que parmi ces  ex-combattants 30 % sont des enfants, que la plupart d’entre eux ne remplissent pas les conditions d’intégration dans l’armée[8]. Un tel triage aurait logiquement pu se faire dans les points de regroupement et permettre aux non éligibles de rejoindre leurs communautés ou villages tout en envisageant un accompagnement adéquat pour leur insertion à la vie civile. Le coût serait moindre et les résultats meilleurs. A moins bien sûr qu’un tel calcul ne cache une opération semblable à la déportation ou à la relégation naguère pratiquées par l’administration coloniale belge.
 
Pire encore, les ex-combattants qui se sont rendus dans les points de regroupement sont persuadés qu’ils seront intégrés dans l’armée à l’issu de ce programme de démobilisation. Quelle information a-t-on donné à ces ex-combattants au moment où le porte parole du gouvernement dit clairement que : « …très peu auront l’option de s’intégrer dans l’armée nationale. La plupart vont être intégrés dans la vie civile »[9] ?
 
Les dépendants des ex-combattants ont été encouragés à ne pas suivre leurs maris et pères comme ils en ont l’habitude moyennant quarante dollars américains. Ils sont aussi sous-informés quant à ce qui attend les ex-combattants dans les centres de triage et aucun de ces deux documents du gouvernement se s’est prononcé sur les perspectives de leur gestion dans le court et le long terme. Comment vont-ils survivre ?
 
Un des critères d’éligibilité du combattant contenu dans les documents est celui de 1 combattant = 1 arme. On sait très bien que beaucoup de seigneurs de guerre qui se sont présentés dans les points de regroupement n’ont livré que peu d’armes par rapports aux nombres des effectifs qu’ils ont amenés avec eux. Pas plus tard que fin mars 2014, aucun de 36 ex-combattants de Lafontaine qui se sont rendus à Beni n’a présenté aucune arme. Les armes laissées dans les caches sont toujours là et utilisables le moment voulu. Ne serait-il pas plus important de lier la reddition dans les points de regroupement à l’intransigeance que les effectifs recueillis correspondent aux armes remises  avant même de penser à les délocaliser dans les centres de triage ?
 
Le compte rendu des ministres[10] estime que la réintégration durable se ferait sur un site que les combattants choisiraient eux-mêmes à l’issue du processus de démobilisation. Ceci suppose que ces derniers sont la priorité nationale et que tous les moyens financiers et ressources humaines seront mis à leur disposition pour amener chacun dans son village de choix. Nous avons vu combien de temps il a fallu pour mobiliser les avions de transport ramenant les ex-combattants dans les centres de triage. Nous savons combien il est difficile pour le gouvernement de créer les conditions de vie décente dans ces centres de triage. Au regard des autres priorités nationales en quoi ces démobilisés à mille lieux de leurs villages d’origine vont représenter une priorité ? La mémoire est encore vive pour le camp de Kapalata au lendemain de la victoire de l’AFDL dans la province Orientale. Les cantonnés du camp de Kapalata qui s’en sont sortis vivants sont toujours hantés par les drames qu’ils ont vécus. Comment éviter un tel désastre ?
 
Les essais de démobilisation : un échec annoncé
 
 Les résultats maigres voire les échecs des autres programmes de démobilisation nous portent à croire combien la réforme du secteur de sécurité est difficile et complexe. Chaque processus d’intégration dans l’armée nationale correspondait à un tournant important dans l’histoire de la RD Congo. La démobilisation et réintégration de 2004 a surfé sur le momentum des accords de Sun City qui finalement avaient conçu les enjeux nationaux comme un gâteau à partager entre belligérants et au nom de la paix, il a fallu intégrer tous les combattants de chaque rébellion. Il n’y a jamais eu aucun effort de trier le bon grain de l’ivraie. Certains parmi ces combattants qui avaient excellé dans les pires des massacres étaient récompensés par les grades d’officiers « au nom de la paix » et aujourd’hui certains sont généraux de l’armée nationale.
 
Le processus de mixage de 2008 entre la rébellion du CNDP et les FARDC fut un interlude qui a été vite étouffé par la reprise des combats. Ce concept emprunté à la chimie industrielle aurait de toute façon eu du mal à fédérer les groupes armés disparates en une armée monocolore ayant une même idéologie et les mêmes aspirations.
 
D’entrée de jeu, la démobilisation et la réintégration de 2009 négociées entre les pouvoirs de Kinshasa et de Kigali a été la cible de toutes sortes de critiques. Ce processus a été critiqué pour son opacité dans les négociations entre les deux capitales et surtout pour avoir donné accès aux ex-combattants du CNDP de se déployer dans les autres parties du Kivu qu’ils n’avaient jusqu’alors pas occupées. L’incapacité d’expliquer à l’opinion congolaise et internationale le bien-fondé de ce qui avait été négocié entre les deux capitales a exacerbé le rejet de ce processus et finalement la reprise des hostilités trois ans plus tard avec la rébellion du M 23.  Bien que le timing de cette rébellion au lendemain des élections présidentielles et législatives contestées au niveau national et international pourrait donner une autre clef de lecture, il n’empêche que le dénouement de cette crise par la défaite du M 23 et l’exil de ses combattants en Ouganda et au Rwanda complique davantage la nouvelle donne de démobilisation et d’intégration de tous ces ex-combattants.
 
 
Les fausses certitudes ambiantes.
 
Ces essais de démobilisation et de réintégration conçus comme un mode de partage de pouvoir entre belligérants ont plutôt perpétué et renforcé une économie de guerre autour de seigneurs de guerre, des conflits identitaires au sein même des FARDC et son délitement.[11]
Cependant, plutôt que d’en tirer des leçons pour une meilleure approche de ce secteur délicat de la réforme de la sécurité, les tentatives de faire du nouveau avec du vieux des plusieurs coopérations militaires belges, américains, chinois et autres veulent nous faire croire que nos hommes en uniforme sont nos hommes du présent et de l’avenir et qu’une armée en puissance est en train de se construire lentement mais surement. La récente défaite du M 23 par les FARDC aidées et encadrées par la MONUSCO renforce cette illusion et justifie les millions des contribuables enfouis dans ces programmes.
 
Oser une solution idoine radicale.
 
Ceci dit, il est impératif de revisiter la notion même de la reforme du secteur de la sécurité. Doter la RD Congo d’une armée républicaine capable de défendre la souveraineté territoriale et de sécuriser les personnes et leurs biens est un souhait partagé par tous les Congolais qui ont subi les violences et les souffrances indescriptibles de ces vingt dernières années. Une telle armée ne peut jamais se recruter sur le tas des forces disparates qui se sont battues les unes contre les autres. Les échecs enregistrés par les différents programmes de démobilisation dégagent une telle évidence mais il n’ y a aucune volonté politique d’oser imaginer une solution radicale. Il faudra carrément envisager le recrutement de la nouvelle armée congolaise au sein d’une nouvelle jeunesse qui n’a pas trempé  dans ces violences à répétition aux résultats maigres et sur des nouvelles bases idéologiques et sur des valeurs démocratiques. Un tel revirement radical suppose aussi des solutions idoines radicales. La question cruciale c’est ce qu’on fait des effectifs de l’armée actuelle. La réponse à une telle question va au-delà de la seule capacité du gouvernement congolais mais devrait impliquer la communauté internationale au chevet de la RD Congo avec la plus grande force d’interposition au monde aux résultats maigres et dans beaucoup de cas sans résultats du tout. Il est impératif d’oser imaginer :
 

  1. La création d’un fonds de retraite permettant la démobilisation de tous les effectifs de l’actuelle armée nationale.
  2. La mise sur pied d’un « plan Marchal » pouvant financer les grands travaux publics générateurs de la haute intensité en main d’œuvre comme les routes nationales reliant l’est à l’ouest, le nord au sud et raccordées aux grandes villes du pays.
  3. La récupération au sein de l’armée actuelle des instructeurs techniques qui pourraient se faire aider par les coopérations militaires bilatérales.
  4. La mise à la retraite des effectifs ayant atteint plus de 45 ans.
  5. La récupération des effectifs valides et leur reconversion en génie civil pour les grands travaux d’intérêt national.
  6. La création d’un programme des routes en pavé dans les villes et centres urbains qui absorberait les jeunes sortis des centres de rééducation et autres effectifs au chômage.

 
Des telles propositions sont d’abord et avant tout des priorités nationales portées par un gouvernement national. Cependant elles esquissent une feuille de route pour la reforme du secteur de la sécurité et une piste vers un développement durable de la RD Congo pour tous ceux qui sont soucieux de voir ce pays sortir de sa longue crise. Dans l’entre temps, quelques actions pratiques peuvent être menées :

  1. Développer des passerelles de communication autour de ce programme entre les candidats à la démobilisation, ceux regroupés aux points de ramassage et ceux qui sont dans les centres de triage. Il est important que tous ces concernés aient une information fiable sur ce processus.
  2. Faire un lobbying auprès des organisations humanitaires pour une assistance aux dépendants des ex-combattants en formation.
  3. Utiliser ce programme de DDR III comme une opportunité pour ramasser les armes qui pullulent dans les villages en insistant que chaque combattant se présente avec une arme et en développant d’autres stratégies pour un environnement sain et sans armes.
  4. Initier des projets pilotes des routes en pavé en milieux urbains construites par les ex-combattants comme un exemple d’une démobilisation et réintégration rémunérées et utiles aux communautés locales.

 
 
 
Aloys Tegera
 
Pole Institute
Directeur de recherche
 
Avril 2014
 
        


[1] République Démocratique du Congo. Ministère de la défense nationale et des anciens combattants. Plan global de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR III), Décembre 2013.
[2] Ministère de la défense nationale et des anciens combattants. Plan des opérations conjointes de désarmement et de démobilisation pour le DDR III. Décembre 2013.
[3] IRIN Briefing : « DDR in eastern DRC-try, try again », Kampala/Nairobi, 4 mars 2014.
[4] Plan global DDR III, op.cit. p. 9
[5] Plan global DDR III, op.cit. p. 18
[6] Plan global DDR III, op. cit. p. 8
[7] Compte rendu de la 10ème réunion ordinaire du conseil des ministres du 26 décembre 2013, p. 2. Voir aussi IRIN Briefing, op.cit.
[8] Les critères d’intégration dans l’armée devraient être : une bonne conduite, des études secondaires jusqu’en 2ème année, être célibataire et avoir entre 18 et 25 ans.
[9] IRIN Briefing, op. cit.
[10] Op.cit. p. 2
[11] ERIKSSON BAAZ M., et VERWEIJEN J, « The volatility of a half-cooked bouillabaisse : Rebel-military integration and conflict dynamics in the eastern DRC », African Affairs, 112/449, pp. 563 - 582 

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