A l’Université alternative / Septembre 2020

Date de publication
septembre-2020

L’Université alternative a relancé ses séances de formation et ses activités de recherche au mois de septembre 2020, après une longue période de silence imposé par la crise du corona virus. Dans un contexte dominé par cette crise, elle s’est concentrée sur les enjeux sanitaires, économiques, politiques et culturels de la pandémie dans la société congolaise et partout en Afrique et dans le monde. En même temps, elle a mis à profit la réflexion sur ces enjeux pour penser les orientations essentielles de la nouvelle année académique qui commence et de ses exigences pour l’éducation des jeunes à partir des préoccupations qu’ils considèrent comme prioritaires aujourd’hui.

Avec le docteur Muyangi autour des enjeux du corona virus

Dans un contexte où l’inquiétude et la panique se sont emparées des esprits et des consciences dans toutes les populations du monde à cause de la pandémie du Covid-19 ; à l’heure où la RDC peine à organiser sa lutte contre cette pandémie avec cohérence et efficacité dans une Afrique prise de peur face à l’avenir,  il est apparu urgent à l’équipe pédagogique de l’Université alternative d’inviter le docteur Jérôme Munyangi pour éclairer les jeunes sur « les enjeux de la covid-19 ». Le docteur Munyangi est l’une des figures les plus en vue dans la recherche en RDC non seulement sur le paludisme et les moyens de le vaincre, mais aussi sur la lutte contre la covid-19 sur la base de l’Artémisia, plante dont il est devenu le spécialiste mondialement reconnu. Il fait partie des 100 Africains les plus influents  désignés par le Magazine Jeune Afrique et travaille au sein de l’équipe de la présidence de la RDC « chargée de lutter contre la pandémie ». Sa notoriété est  « vite devenue internationale. »[1]

Le 12 septembre 2020, devant 75 jeunes, le docteur Jérôme Munyangi s’est attelé à livrer à l’assistance sa conception de la médecine utile pour l’Afrique actuelle. Devant toutes les grandes maladies de notre époque, il est important à ses yeux que l’Afrique soit enracinée dans ses propres traditions médicales avant de s’ouvrir aux médecines qui nous viennent d’ailleurs. Au lieu d’être des simples consommateurs des solutions qui viennent de la médecine occidentale, de la médecine chinoise ou de la médecine indienne, comme c’est le cas aujourd’hui dans nos pays africains, notre continent devrait concentrer  ses efforts sur la création des centres permanents de recherche sur la médecine africaine, trouver des solutions fécondes à l’échelle locale, les confronter avec les recherches et les solutions venues d’ailleurs et faire de l’inter-enrichissement des médecines une force reconnue. C’est cette perspective que Muyangi lui-même a ouverte avec sa recherche sur la plante Artémisia. Aujourd’hui, il la propose dans la lutte contre la covid-19. Pour lui, ce qui est en jeu n’est pas seulement d’ordre médical, c’est, plus profondément, de l’ordre de la guérison de l’homme africain dans son être-même, pour qu’il se découvre dans son humanité, dans sa créativité et dans ses capacités d’innovation afin de faire de notre continent une terre d’enrichissement pour toutes les civilisations. Cela signifie qu’aujourd’hui le corona virus nous interroge sur nos capacités africaines de gouvernance dans le domaine politique, dans le domaine économique, dans le domaine culturel, dans le domaine scientifique et dans le domaine géostratégique. Les jeunes doivent comprendre que c’est de cela qu’il s’agit vraiment : être nous-mêmes, nous assumer dans nos capacités d’inventivité, créer de nouvelles perspectives de vie et construire une nouvelle civilisation africaine digne de sa grandeur et de toutes ses espérances.

Pour ce faire, l’éducation africaine, surtout en République démocratique du Congo, devra désormais être pensée, organisée et structurée pour donner aux nouvelles générations la conscience de leurs responsabilités face à ces enjeux de fond.

Ce fut là le message du docteur Jérôme Muyangi aux jeunes de l’Université alternative. Il suscita une adhésion fervente de la part des participants et un débat très fructueux autour de ce que les jeunes doivent désormais être et de ce qu’ils doivent désormais faire pour leur pays, pour leur continent et pour le monde dans son  ensemble.

Quand les pandémies d’aujourd’hui interpellent la jeunesse congolaise sur le VIH-SIDA

La conférence de Jérôme Muyangi n’a été que le point culminant de la réflexion des jeunes de l’université alternative sur les problèmes sanitaires en République démocratique du Congo. Tout au long du mois de septembre, une équipe restreinte de 7 jeunes (5 garçons et 2 filles) s’est consacrée à porter le regard sur la situation du VIH-SIDA dans la jeunesse congolaise aujourd’hui. Dans le cadre de la campagne de l’ONU-SIDA et du Conseil œcuménique des Eglise (COE) sur la lutte contre la stigmatisation des Personnes vivant avec le VIH (PVV) et sur l’éducation à la résilience, cette équipe s’est insérée dans les réflexions conjointes des équipes du Conseil œcuménique en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Quatre séances de travail sur zoom ont eu lieu avec ces équipes sur la résilience par rapport au VIH-SIDA. Les jeunes de l’université alternative ont participé fortement à cette action et ils en ont fait une grande perspective d’éducation pour les jeunes dans la ville de Goma, avec une ferme volonté de faire de la résilience un problème d’ordre spirituel qui doit mobiliser les forces religieuses et sociales dans l’Afrique actuelle.

Ils ont aussi participé activement au programme Résilience et Renouveau, une initiative confessionnelle de l’ONUSIDA et de PEPFA destinée à renforcer les capacités d’éducation et de plaidoyer parmi les personnes de foi impliquées dans le VIH et le SIDA. Pendant les séances organisées dans le cadre de Webinair du 21-22 et 23 septembre, ces jeunes ont suivi attentivement les conférences et les discussions internationales organisées à partir de Genève. Ils ont été fortement motivés pour faire de la santé un des pôles majeurs de leur action dans la société civile et dans les mouvements des jeunes, surtout auprès de la jeunesse des communautés de foi. Désormais, ils suivent avec intérêt et détermination les actions du projet œcuménique EHAIA en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. 

Indépendance économique et gouvernance monétaire

Jérôme Muyangi avait parlé aux jeunes au cours de l’après-midi du 12 septembre. Le matin du même jour, c’était une séance consacrée à l’économie de la RDC qui eut lieu à l’Université alternative sur le thème : « gouvernance économique, gage de la stabilité monétaire et de l’émergence en RD Congo. » Ce thème s’inscrit dans la ligne du volet économique de la formation et de l’éducation des jeunes à la transformation sociale dans l’Afrique d’aujourd’hui. Pour  la République démocratique du Congo, il traduit le désir et la volonté des jeunes de maîtriser les réalités économiques et financières du monde actuel pour y inscrire leurs initiatives de lutte contre la misère et la pauvreté et pouvoir ainsi engager leurs actions en vue d’une autre économie.

C’est le groupe Gouvernance pour l’Afrique nouvelle (GANO) qui, au sein de l’Université alternative, avait convoqué la séance sur l’économie. Plus précisément, il voulait faire comprendre aux jeunes l’importance de la gouvernance économique dans un pays moderne et le rôle de la stabilité monétaire dans cette gouvernance en ce moment précis où, en RD Congo, la monnaie nationale perd de jour en jour sa valeur et déstabilise tous les équilibres financiers du pays. 7 experts étaient invités pour parler aux jeunes de l’Université alternative à ce sujet : le directeur de cabinet du président de l’Assemblée Provinciale du Nord-Kivu, le directeur de cabinet du vice-président de l’Assemblée Provinciale, le conseiller du rapporteur de l’Assemblée Provinciale, le Conseiller  du Ministre provincial en charge de l’économie, le représentant du PNUD bureau du Nord-Kivu, le professeur Jean-Pierre Kisonia de l’Université Libre des Pays des Grands-Lacs (ULPGL-Goma) et le professeur Kä Mana, directeur du programme Université alternative à l’Institut interculturel dans la région des Grands lacs (Pole Institute).

Ces différents experts ont, chacun sous son angle de vue, affronté les questions suivantes devant les jeunes :

  • Pourquoi les populations de la RDC vivent-elles majoritairement dans la misère alors que leur pays est prétendument riche aux yeux de beaucoup d’analystes ?
  • Pourquoi le dollar cohabite-t-il avec le franc congolais alors qu’il n’est pas dans la banque centrale du Congo ?
  • Pourquoi les Congolais préfèrent-ils utiliser le dollar au détriment du franc congolais ?
  • Pourquoi la monnaie congolaise est-elle dans la rue sans aucune garantie pour devenir une monnaie de refuge ?
  • Quel est le niveau réel de production agricole, économique, financière et commerciale de notre pays et de notre province du Nord-Kivu pour soutenir notre monnaie  et porter nos activités d’enrichissement de nos populations ?

Autour de ces questions, le vrai problème était celui de la faiblesse économique et de la fragilité financière de la RDC dans l’ordre global néolibéral qui gouverne le monde actuel. La réponse à cette faiblesse, il faut la chercher dans l’intelligence d’une gouvernance rationnelle, éthique et chargée de grandes utopies pour le pays. Il faut la chercher aussi dans la force des organisations économiques et financières solides, dirigées par des personnes compétentes. Parmi ces organisations, la Banque centrale a un rôle vraiment « central » : celui de conduire une politique monétaire solide et d’organiser une veille constante sur la conduite des finances de l’Etat.

Mais au-delà des institutions politiques, il y a la confiance qu’un peuple a dans la classe dirigeante et les autorités de son pays. Il y a aussi la confiance du peuple dans la monnaie de son pays. Il y a surtout le lien entre les populations et la politique de la nation. Si à ces trois niveaux quelque chose cloche, il y a lieu d’engager une éducation de fond pour que les citoyens, autorités comme populations, comprennent que l’économie d’une nation et la gestion de ses finances sont une question de responsabilité collective. C’est de cette éducation que le Congo a besoin.

Les lignes directrices de cette éducation sont les suivantes :

  • La nécessité de reconquérir l’indépendance de la banque centrale qui doit jouer un rôle prépondérant dans la définition des politiques monétaires utiles pour atteindre sa mission de stabilisation des prix.
  • L’exigence de construire une gouvernance économique crédible à la hauteur des défis, des aspirations des citoyens et des potentiels monétaires énormes de notre pays dans un contexte mondial complexe.
  • L’urgence de réveiller la confiance des citoyens en leur monnaie comme l’expression même du patriotisme national.
  • L’impératif de matérialiser la vision de l’intégration régionale africaine comme la condition sine qua non pour la construction des  économies africaines fortes et libérées de la servitude.

L’ampleur des perspectives ouvertes par ces propositions montrent à quel point l’éducation économique et la formation financière ne relèvent pas seulement de la responsabilité des Facultés universitaires et des institutions de formation de haut niveau dans l’enseignement supérieur ;   elles relèvent aussi de la mobilisation de tout le peuple pour la création d’un ordre économique de prospérité. Il y a un long travail à faire surtout avec les jeunes partout en République démocratique du Congo aujourd’hui.

Le temps du leadership du genre

A l’Université alternative, la séance du 19 septembre 2O20 a été centrée sur le leadership féminin et la situation globale de la femme dans la société congolaise actuelle. Sous l’égide du professeur Kä Mana qui a placé cette  séance sous le signe du passage  à opérer maintenant dans la société congolaise pour sortir des incantations rhétoriques et s’engager dans le pragmatisme de l’action, les 43 participants au débat ont mis en lumière trois questions qui méritent d’être analysées en profondeur aujourd’hui :

  1. Dans la société congolaise telle qu’elle fonctionne effectivement, les femmes ont-elles la volonté d’assumer un leadership fertile et créatif pour le développement de leur pays ?
  2. Si une telle volonté existe, sait-on exactement quelle est son ampleur et quelles sont les forces sociales qui la portent exactement pour la transformer en action ?
  3. Comment les hommes congolais voient-ils actuellement les luttes de libération des femmes congolaises et à quel degré soutiennent-ils ces luttes ?

Autour de ces questions se déclenchèrent des empoignades habituelles entre les jeunes hommes et les jeunes filles, chaque groupe défendant son point de vue en tirant la couverture vers lui.

 Pour les hommes, il est clair qu’il y a chez les femmes congolaises une paresse manifeste face à l’affirmation d’elles-mêmes comme leaders et comme agents du changement positif et profond de la société. On le voit dans la place dérisoire qu’occupent les femmes dans le champ politique congolais. Non seulement les femmes ne soutiennent pas les femmes au cours des élections, mais elles ne semblent pas intéressées par les enjeux politiques de leur place dans la communauté nationale. Dans les universités aussi, les filles sont plus intéressées par les perspectives matrimoniales que par leur capacité d’influencer les orientations politiques, économiques ou culturelles de grande importance pour le Congo. Cela devient un atavisme contre lequel il n’y a rien à faire : les femmes congolaises resteront toujours aux places subalternes et n’accèderont jamais à grande échelle aux hauts postes de responsabilité.

Du côté des filles, les choses ne sont pas telles que les jeunes hommes les voient. La réalité est que la femme congolaise subit des traumatismes culturels d’infériorisation et de soumission face au genre masculin. Elles sont aussi victimes des masculinités toxiques dont les hommes se pavanent dans la société. Rien ne les encourage à être responsables d’elles-mêmes et de s’engager dans les grandes luttes sociales dans un tel contexte. Mais les choses changent profondément aujourd’hui. Peu à peu, avec force et fermeté, la condition des femmes se transforment. En politique, dans les affaires, dans les universités, dans les mentalités, dans les luttes des mouvements sociaux et dans l’imaginaire des populations, la cause de la femme progresse et s’affirme comme une dynamique d’avenir. Si les hommes croient qu’ils vont encore perpétuer leur domination sur les femmes dans la société congolaise, ils se trompent. Les femmes ont compris ce qu’elles doivent faire et ce qu’elles doivent devenir : elles sont dans les batailles du féminisme et dans les batailles du genre ; elles sont dans tous les combats du progrès social et pèsent de plus en plus sur les orientations globales de l’avenir congolais.

De quel côté est la vérité dans ce débat ? Elle est ailleurs que dans la rhétorique stérile  d’affrontement. Elle est dans le changement de fond qui s’opère dans la société congolaise où des hommes et des femmes réfléchissent et agissent pour que les enjeux du « Genre » deviennent de grands enjeux pour la société congolaise. Il faut pour cela sortir  de l’infécondité des débats en cours et donner aux femmes l’opportunité de s’engager réellement, en lien avec les hommes, dans le changement du Congo grâce au génie féminin dont il faut redécouvrir et répandre le souffle des valeurs fécondatrices dans l’organisation de la vie. Cela demande que tout le système éducatif congolais se concentre sur les enjeux du « Genre » aujourd’hui. Les jeunes doivent comprendre cela et s’engager de toutes leurs forces dans la construction d’un Congo où le leadership se conjugue conjointement au genre masculin et au genre féminin, dans une paix sociale dont tous les domaines de la vie devront être éclairés par la lumière de la coopération entre hommes et femmes.

Les valeurs culturelles des communautés ethniques du Nord-Kivu : une chance pour la paix 

 Le 26 septembre 2020, l’Université alternative a accueilli le chercheur congolais Bernardin Ulimwengu pour présenter aux jeunes les résultats de son travail sur les valeurs culturelles des communautés ethniques du Nord-Kivu. A partir de l’analyse des mythes, proverbes, normes,  chants, institutions et structures sociales, le chercheur a dégagé les grandes lignes d’une sagesse de la paix qui devrait être mise au service de l’éducation des jeunes aujourd’hui. Cette sagesse a malheureusement été oubliée dans ses lignes de fond que sont la cohésion sociale, le sens de la collaboration et de la solidarité, le souci du bonheur communautaire et le recours à l’intelligence et à la raison pour conduire les affaires de la cité. Nous nous trouvons aujourd’hui à un tournant de l’histoire du Congo où il est urgent de replonger les générations montantes dans la sagesse des traditions ancestrales afin de vaincre les pathologies du tribalisme et des conflits ethniques qui détruisent le tissu de la communauté provinciale et nationale. La tâche de la construction de la paix qui incombe aujourd’hui aux jeunes les engage à devenir eux-mêmes des ferments de la connaissance des traditions de sagesse qui sont au cœur de toutes les communautés du terroir national, avec l’objectif de faire émerger  un nouvel homme congolais capable de bâtir un nouveau Congo : un Congo uni dans les valeurs de paix et les normes fertiles pour la sécurité de tous.

Face à l’avenir

Pour les moins qui viennent, les grandes lignes tracées par l’Université alternative au cours du mois de septembre seront les grandes orientations de travail pour cette nouvelle année académique. Les enjeux sanitaires (Covid-19, Ebola, VIH-SIDA), politiques (paix, démocratie, éducation citoyenne), économiques (gouvernance, gestion, administration) et culturels (lutte contre le tribalisme, la corruption et l’impunité) devront être déclinés dans leurs grandes implications sociales pour ouvrir la voie au renforcement de l’éducation des jeunes à la transformation de l’homme et de la société aujourd’hui.

Kä Mana

 

 

 

 

[1] Jeune Afrique N0 3091, Août 2020.

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