Ne serait-il pas possible d’actionner les mêmes leviers et de recourir au même système pour résoudre la crise dans l’est de la République démocratique du Congo ?
Une réponse de La Palisse : La RDC n’est pas la République centrafricaine. Malgré les ressemblances de surface concernant la crise de l’Etat, les pathologies de gouvernance, les faiblesses criardes des dirigeants, l’inconsistance des institutions et la ménopause de la créativité populaire, les deux pays vivent dans deux univers imaginaires et deux systèmes de géo-puissance très différents. En Centrafrique, la Françafrique joue encore à fond ses intérêts et actionne les différents mécanismes de fonctionnement de l’ordre régnant. Elle a un vrai pouvoir, au bon comme au mauvais sens du mot. Depuis la mort de Barthélémy Boganda jusqu’à ce jour, le pays n’a de souffle de vie que celui que la France lui accorde. Parfois ce souffle se respire en abondance, quand le gouvernement plaît aux pouvoirs français. Parfois, le souffle se raréfie, quand le pouvoir centrafricain cesse d’être conforme aux exigences non pas de la France en tant que nation, mais de quelques fabricants et montreurs de marionnettes qui, à Matignon ou au Quai d’Orsay, créent des marques griffées des politiciens centrafricains. Cette centralité des groupes politiques et économiques français facilite les solutions rapides en cas de crise : on peut en une journée remplacer un empereur d’opérette par un président fantoche, dans une opération politico-militaire éclair ; on peut placer des doublures françaises dans chaque ministère et donner le vrai pouvoir à un colonel français face à un chef d’Etat sans autorité, comme si le vrai pilier du pouvoir était la France elle-même, ni plus ni moins.
Au principe de la centralité françafricaine en RCA, la RDC oppose un double principe qui lui est spécifique et que l’on pourrait désigner des noms connus dans la physique contemporaine : le principe de la relativité et le principe d’incertitude, mais au sens dévoyé de ces termes, une fois qu’on les sort du champ scientifique pour leur donner une interprétation de philosophie politique.
La relativité, en physique, c’est la vision selon laquelle le centre n’est nulle part dans l’univers et que tout se détermine à partir de la position que l’on occupe pour observer l’espace. En politique congolaise, une telle relativité désigne une situation où l’on ne sait pas où l’on est vraiment, ” ni à gauche, ni à droite, ni même au centre “, comme on disait au temps de Mobutu. Une telle politique tourne en l’air, tantôt autour des Etats-Unis, tantôt autour de la France, tantôt autour de la Belgique, tantôt autour de la Chine, tantôt autour du Zaïre mobutiste lui-même en son idéologie de l’authenticité, dans un jeu sans cohérence ni consistance, complètement calamiteux en termes de choix de développement et de gouvernance. Depuis Mobutu à ce jour, rien n’a changé, sauf que la relativité à la mobutienne est réinventée aujourd’hui non seulement par rapport aux pays puissants et aux idéologies déterminantes, mais aussi par rapport aux groupes d’intérêts, aux vendeurs d’armes et à des innombrables forces mafieuses qui mettent la RDC en vertige politique, économique et social. Les pays qui animent le principe de la relativité à la Congolaise sont connus : les puissances du monde occidental ainsi que le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud. Relativement à chacun d’eux, la politique congolaise oscille et vole comme un roseau balloté par le vent. Les forces de l’ombre qui travaillent les entrailles du Congo actuel sont aussi connues : les petites mains du capitalisme que sont les conglomérats financiaro-industriels, les forces mafieuses de toutes sortes et les pouvoirs du grand banditisme mondialisé qui tiennent les dirigeants congolais dans leurs crocs, sous une forme ou une autre.
Quand, dans un système politique ou diplomatique, le centre n’est nulle part, même pas en soi-même et dans sa propre vision du monde pour une nation, les acteurs politiques et diplomatiques sont pris dans le vertige du principe d’incertitude : on ne peut pas connaître à la fois leur position et leur vitesse dans la géopolitique et la géo-puissance planétaires. Cela veut dire concrètement ceci : ils peuvent être, comme au Congo, avec le Rwanda un matin (position) tout en virant vers les ennemis du Rwanda pendant la journée, sans que le Rwanda se rende compte de leur course vertigineuse (vitesse) dans de ce virage. Ils peuvent signer des accords avec le Fonds monétaire international sur la politique minière à mener (position) sans que le FMI puisse mesurer leur renversement de perspective (vitesse) au profit de la Chine ou des forces mafieuses internationales.
Cette incertitude et la relativité qui la gère font du Congo un pays peu fiable, dont il est difficile de croire que son président mettrait fin à une crise par une simple et rapide signature, même si une grande puissance pousse le Congo vers une telle signature. On peut toujours présupposer qu’une autre puissance entrera en lice pour pousser la RDC vers une autre position, à une vitesse vertigineuse. Les pays de la CIRGL et les pays de la SADC en savent quelque chose dans leurs relations avec le pouvoir congolais dans son manque de colonne vertébrale.
S’il en est ainsi, que reste-il comme vraie possibilité ? Une solution véritablement congolaise à inventer encore, dans la puissance du génie congolais au service des rêves congolais.
Cette solution est celle-ci :
– changer le Congo de l’intérieur de sa propre ambition mondiale et de sa propre volonté de puissance et de développement, dans un débat sincère entre Congolais, sans exclusive ;
– forger un esprit de la transparence et de la vérité dans les relations entre le Congo et ses voisins, pour un espace de politique et d’économie communautaires responsables ;
– construire une géo-puissance congolaise dans une dynamique de partenariat économique réussi avec les grandes puissances du monde.
En fait : miser sur un autre esprit, une autre politique, une autre stratégie d’action pour le développement du pays, loin des errances actuelles qui nourrissent l’état de guerre. C’est-à-dire mettre un limon éthique dans la conduite des affaires politiques et la gouvernance globale du pays, à l’échelle intérieure comme dans les relations internationales. Cela passe, évidemment, par l’émergence d’un autre type d’élite congolaise, fruit d’un autre type d’éducation. Une autre gageure !
Kä Mana
Président de Pole Institute