PROCESSUS ELECTORAL EN RDC : TIRER QUELLES LEÇONS D’AILLEURS ?
Il y a quelques jours, une journaliste de passage à Goma (Nord Kivu) me posait cette question en parfait français rehaussé d’un fort accent irlandais: « Pourquoi ici les gens prennent tant de lait en poudre alors que cette région produit beaucoup de lait naturel ? » Dépassé le moment de surprise – ce n’est pas tous les jours que l’on me pose des questions sur le lait, qu’il soit en poudre ou liquide- je commençai par rectifier l’assertion. Il n’y a pas beaucoup de gens qui prennent du lait en poudre, pour la simple raison que son prix est hors de portée du Congolais de Goma lambda ; une boîte de lait NIDO en poudre de 2 500 grammes revient à 30 dollars US, soit le salaire mensuel d’un enseignant ou d’un sous-officier de l’armée. Mais la dame, qui vient du pays de Kerry Gold, ce lait en poudre dont la publicité nous vante les vertus à longueur de journées sur les ondes des radios, des télévisions ou sur les affiches, avait d’autres renseignements à me fournir. J’appris ainsi que la RDC constitue le 5ème marché de lait en poudre produit dans son pays, où les éleveurs reçoivent de grosses subventions du gouvernement, ce qui tue dans l’œuf le travail des éleveurs congolais qui ne peuvent ni exporter leurs produits ni les vendre sur leur propre territoire. A la fin, nous étions d’accord que les humains ont toujours été fascinés par ce qui vient d’ailleurs ; le hic, c’est lorsqu’à force de regarder ailleurs, l’on en oublie de voir où l’on pose ses propres pieds. En cette période électorale, les Congolais devraient travailler de sorte à ne pas se retrouver dans le cas de figure où l’expérience d’ailleurs compromet, altère ou tue la nôtre propre. D’une part, une fascination et un mimétisme aveugles des réussites des autres seraient pour le moins contre-productifs ; d’autre part, ne pas tirer de leçons des échecs d’ailleurs nous conduiraient inexorablement à les répéter. Le « printemps arabe» , l’indépendance du Sud Soudan, la Côte d’Ivoire post-électorale, la Guinée Conakry, la Belgique de nos « oncles » sont autant de cas qui, d’une manière ou d’une autre, à un certain moment de ce long processus électoral, attirent ou devront attirer l’attention des acteurs congolais.
Printemps arabe sur les rivages du lac Kivu
Au courant des mois de mai et de juin 2011, la province du Nord Kivu a connu une ambiance inhabituelle. La ville de Goma, généralement connue plus pour son affairisme économique que pour son activisme politique, ville où d’habitude les femmes, les hommes et même les enfants se lèvent de bon matin pour envahir les différents marchés de la ville et des campagnes avec un regard distrait sur les gestes et faits des politiciens, a vécu des semaines folles, faites de marches ou de menaces de marche, une frange de la population urbaine tentant de déloger le Gouverneur de la province, M. Julien Kahongya, du poste qu’il occupe depuis les dernières élections de 2006. Avec le recul, il apparaît clairement que le psychodrame qui s’est joué au Nord Kivu au courant des mois de mai et juin 2011 avait de forts relents de jasmin et que, l’espace d’un mois, les uns ont pris le rond-point Birere pour la Place Tahrir (en arabe littéralement « place de la Libération », parfois traduit par place de l’Indépendance) et les autres se sont vus dans un siège aussi éjectable que celui du raïs égyptien Moubarak.
Tout est parti de l’embuscade du convoi de Monsieur Mashako Mamba, ministre national de l’Enseignement supérieur et universitaire, le samedi 7 mai 2011 en territoire de Rutshuru. Ce jour-là, le Ministre se retrouve nez à nez avec des coupeurs de route au niveau de Katwiguru, sur l’axe Kiwanja – Ishasha, qui ouvrent le feu et tuent sur le coup son chauffeur et un des policiers commis à sa garde. L’alerte est chaude et l’événement fortement médiatisé. Le ministre, sorti « miraculeusement » indemne de l’incident, regagne Kinshasa. Le lendemain 8 mai, le Gouverneur de Province et tout son gouvernement débarquent à Rutshuru en vue d’examiner de près la recrudescence de cette insécurité qui commence à menacer même « les grands ». Sur place, le Gouverneur initie une série de concertations avec différentes couches de la population. Mais l’ambiance se détériore très rapidement. Le 10 mai 2011, une première manifestation populaire, venue de Bunagana et Tshengerero, à une vingtaine de kilomètres de Rutshuru Centre, est arrêtée net alors que les populations descendaient vers le chef-lieu du Territoire pour exposer de visu leurs propres préoccupations sécuritaires au Gouverneur. Le vendredi 13 mai, à Goma, un groupe composé d’étudiants, de commerçants et de politiciens locaux dépose à la Mairie une lettre par laquelle ils annoncent pour le lendemain une marche contre le gouvernement provincial auquel il est reproché pêle-mêle le nuage de poussière qui couvre une bonne partie de la ville du fait des travaux sur la voirie urbaine, le retard de paiement des bourses d’études, l’excès des taxes, la mégestion, etc. Les organisateurs investissent les médias, notamment une station radio qui s’est spécialisée dans l’événementiel brut, pour clamer leur objectif final qui est celui de faire partir le Gouverneur !
Le samedi 14 mai, les manifestants commencent leur marche, avec le Musée – ainsi qu’on appelle les bureaux du Gouverneur qui sont une ancienne résidence du feu Maréchal Mobutu- comme point de chute. Ils n’iront pas loin de leur point de départ, le Rond- Point Birere ; ils sont vite dispersés par la Police et l’Armée. Mais cela suffit pour que le Gouverneur Julien Paluku rentre précipitamment à Goma ; il annonce, ici aussi et dès son arrivée, des concertations avec les différentes couches de la population. Il consulte à tour des bras, la palabre africaine fonctionne à merveille et, miracle, les récriminations deviennent moins virulentes. Plus personne ne dit, à vive et intelligible voix : « Julien, dégage ! » Le représentant des étudiants qui la veille, à la radio, faisait du départ de l’autorité provinciale une exigence non-négociable se rétractera le lendemain, à la sortie de leur audience avec le Gouverneur, en disant sur les ondes de la même radio: « Nous ne sommes pas contre le joueur, c’est le jeu que nous voulons combattre ». Le vent de la contestation est-il en train de tomber le Gouverneur est-il en train de reprendre la main ? Oui, mais pas pour longtemps et c’était sans compter avec l’influence que Kinshasa la capitale exerce sur les provinces. En effet, le 16 mai, une forte délégation de députés et autres notables originaires du Nord Kivu débarque à Goma, en provenance de la capitale. Elle a à sa tête Monsieur Eugène Serufuli, actuel Président du Conseil d’administration de la Société nationale d’électricité et – surtout- prédécesseur de Julien Paluku au gouvernorat et a pour objectif de comprendre les raisons du mécontentement des populations en vue de proposer des pistes de solutions « à celui qui l’a mandatée ». Les délégués de Kinshasa prennent leurs quartiers dans un hôtel huppé de la place et organisent… des concertations avec différentes couches de la population ! A longueur es journées, les mêmes qui ont été reçus par le Gouverneur défilent devant les « Kinois », par catégories, reconnaissables par les groupuscules qui traînent dans les couloirs, au bord du lac, sur le parking ou, pour les plus fortunés, dans les restaurants de l’hôtel. Ils se concertent avant de se concerter avec les Honorables venus de l’ex-Léopoldville, ils affinent leur argumentaire pour ou contre Julien. Ce dernier, parallèlement, organise ses propres concertations à sa résidence officielle. Cette belle cacophonie donne du grain à moudre à une presse locale qui a rarement l’occasion de réaliser des scoops politiques, et dans les quartiers, le sort du Gouverneur est au centre de toutes les conversations.
Et puis, rien. La délégation de Kinshasa termina ses concertations et annonça qu’elle remettrait son rapport à « celui qui l’avait envoyée », après avoir exhorté tout le monde à cohabiter pacifiquement. Le Gouverneur clôtura les siennes, après une conférence de presse mémorable où il avait exprimé son dépit, envisageant même publiquement la possibilité de ne plus convoiter « ce poste qui n’est pas toujours du miel » et dénonçant les injures dont il s’estimait victime, comme celle de lui reprocher ses nombreux voyages alors qu’il a la phobie des avions depuis qu’il a échappé à un crash de Hewa Bora.
Et la vie a repris, depuis lors, son cours normal. Le politicien qui était le plus actif dans l’organisation des marches a été exclu de son Parti politique pour avoir marché avec des symboles de son organisation ; l’étudiant dont l’opinion variait selon le contexte a été relevé de son poste de dirigeant inter-universitaire à l’issue d’une élection libre, transparente et démocratique organisée fort à propos ; le commerçant le plus en vue parmi les apprentis révolutionnaires était aussi un cadre du PAREC, une organisation non gouvernementale impliquée dans le ramassage des armes détenues illégalement ; son organisation le suspendit pour raisons d’enquête.
Lors d’une ultime menace de marche, les commerçants se concertèrent avec le Vice- Gouverneur et arrachèrent de fortes concessions par rapport aux taxes et trouvèrent une forme de collaboration public- privé pour lutter contre le nuage de poussière qui, jusqu’à ce jour, continue à couvrir le ciel de Goma.
Et la marche, en définitive, n’eut jamais lieu.
à suivre …
Ones
Juillet 2011