Mobilité des Hutu en Ituri : Entre acceptation et méfiance

Mobilité des Hutu en Ituri : Entre acceptation et méfiance

Catégorie :
Dossiers
Date de publication :
octobre, 2020
Résumé:

Les déplacements massifs des populations à l’intérieur du Congo remontent à l’époque coloniale où ils étaient organisés par la colonisation à des fins d’exploitation économique depuis la découverte du cuivre du Katanga et de l’or en Ituri au début du 20ème siècle.  S’agissant de l’Ituri, c’est la région de Haut-Uelé qui constituait la réserve principale de la main d’œuvre pour les mines d’or et pour les nouvelles plantations agricoles. Le recrutement massif des jeunes hommes valides dans le Haut-Uelé atteignit un seuil intenable pour la survie des communautés locales, ce qui décida les investisseurs et les colons à envisager d’autres zones de recrutement dès1936, en se tournant vers l’immigration organisée des Banyarwanda en Ituri. En dépit des difficultés de cette option liées notamment aux conditions posées par le mwami du Rwanda, des milliers de travailleurs venus du Rwanda-Urundi furent recrutés pour travailler dans les mines d’or de l’Ituri[1].

Après cet épisode, le déplacement de populations hutu vers l’Ituri a commencé au cours de la décennie 1980 pour s’accentuer après 2000 où ils sont quelques dizaines de milliers. Tous ces déplacés affirment être originaires du territoire de Masisi et de Kalehe, dans une moindre mesure.  Généralement ceux-ci viennent individuellement, par familles, ou en petits groupes, d’abord de manière exploratoire avant d’emmener le reste de leur famille nucléaire ou élargie. Là, ils y sont accueillis par des proches ou lorsqu’ils n’en ont pas par d’autres Hutu arrivés avant eux et qui les introduisent auprès des chefs coutumiers locaux. L’accueil de ces derniers est généralement bon. Les nouveaux arrivés obtiennent un terrain où ils peuvent s’installer et cultiver, après s’être acquittés d’une redevance coutumière de deux chèvres.

Leurs zones d’installation sont principalement Boga et Tchabi en territoire d’Irumu.  La concomitance de ces déplacements avec des conflits violents, récurrents, dont certains opposent des membres d’ethnies autochtones en Ituri et de la perspective d’exploitation du pétrole dans la région, spécialement dans les zones proches du graben albertin en Ouganda, suscitent beaucoup de spéculations et de suspicions, débouchant parfois à des hypothèses de théories du complot.

Les problèmes posés par l’arrivée et l’installation massives de ces populations sont multiples. Ils ont en partie une dimension politique, spécialement en ce qui concerne la représentation à différents échelons du pays pour une communauté aussi importante. Les communautés autochtones ont jusqu’ici refusé cette possibilité aux Hutu en dépit de demandes insistantes dans ce sens. L’autre dimension conflictuelle réside dans la gestion foncière où chez les autochtones la terre est une propriété collective alors que chez les allochtones, la terre surtout celle acquise par achat et mise en valeur, est une propriété privée qu’on peut léguer à sa descendance. A ce sujet, un conflit générationnel oppose les anciens aux plus jeunes qui contestent fortement le droit des chefs coutumiers d’attribuer des terres réputées communautaires.

De plus, comme ailleurs en Ituri, une compétition pour l’accès aux ressources naturelles dans la région d’installation est inévitable et, est porteuse de tensions susceptibles de déboucher sur des conflits violents.

Car en dépit d’apports reconnus des Hutu dans le développement économique de cette région notamment à travers un accroissement significatif et diversifié de la production agricole qui a contribué à désenclaver les zones où les Hutu sont établis et leurs alentours, une forte méfiance, voire une certaine hostilité se développe à leur encontre. Elle est fondamentalement basée sur un doute persistant sur l’identité de ces Hutu appelés « Banyabwisha », renforcée par des rumeurs, des préjugés et des stéréotypes, et la peur de l’importance économique croissante que prennent les Hutu, susceptible d’accroître leur poids politique. Surtout que lors des élections générales de 2018, la communauté hutu a présenté deux candidats aux élections législatives, même s’ils n’ont pas été élus. Cela alimente une sorte de théorie du complot, des soupçons d’un agenda caché, et des desseins inavoués de « balkanisation » de la région.

Cette méfiance des autochtones à l’égard des Hutu est renforcée par la transposition des conflits entre Nande et Hutu du Nord-Kivu en Ituri. En effet, les Nande étant de plus anciens migrants en Ituri considèrent la venue de Hutu comme une menace à leurs différentes positions économiques acquises.  C’est pourquoi des groupes nande bloquent régulièrement des Hutu en déplacement vers l’Ituri et alimentent des campagnes récurrentes de mise en doute de l’identité congolaise des Banyabwisha. Parmi les personnes qui alimentent le conflit, des politiciens, des intellectuels et membres de communautés nande vivant au Nord-Kivu et à Bogaont été cités.

Une frange radicale parmi les opposants farouches à l’installation des Hutu réclame leur retour dans leurs régions d’origine alors que les déplacés hutu eux revendiquent d’être traités comme des citoyens, déplacés dans leur pays, à la quête de terres arables disponibles. Dans tous les cas de figure, c’est la perspective de cohabitation qui va devoir s’imposer. Pour qu’elle soit pacifique, elle nécessite la mise en œuvre de mécanismes multidimensionnels et à tous les niveaux, du local au national. Là, chaque échelon devra mettre en place des initiatives et des mesures dans le cadre de ses compétences. Une approche de transformation de conflits est proposée permettant de mettre en branle un éventail d’approches  allant des barza intercommunautaires, la résolution des conflits fonciers, le dénombrement et l’identification des déplacés hutu,  à la nécessité pour le Gouvernement d’exercer pleinement ses fonctions régaliennes pour imposer une paix globale sans laquelle beaucoup d’autres initiatives sont compromises. A cet égard, plusieurs recommandations sont émises et se trouvent à la fin du document.

 

[1] Marchal, J., Travail forcé pour le cuivre et pour l’or. L’Histoire du Congo 1910 – 1945, Tome 1, Ed. Paula Bellings, 1999, pp. 210, 298.

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