Journée ville-morte contre la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est (FRCAE) en RDC

Soumis par babone le ven 03/03/2023 - 11:18

Contexte, Évaluation et Recommandations

1. Contexte

1.1. Depuis fin Mars 2022, la République démocratique du Congo a officiellement intégré la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (CAE). C’était à la suite du 19e sommet extraordinaire des chefs d’Etat de cette organisation régionale. Pourtant, pendant cette même période, la province du Nord-Kivu est – et demeure – en proie à l’activisme de différents groupes armés, notamment le mouvement du 23 mars, plus connu sous le terme M23 dans le territoire de Rutshuru. Depuis Mars 2022, en effet, les tensions entre les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) et le M23, soutenu par le Rwanda, se sont accentuées.

1.2. Pour endiguer l’insécurité qui sévit dans cette province, plusieurs initiatives de paix ont été amorcées au niveau régional. C’est dans ce sens que plusieurs rencontres des chefs d’Etats de la CAE ont été organisées. Et lors de leur troisième conclave organisé à Nairobi en date du 20 juin 2022, ils se sont convenu sur le déploiement d’une Force Régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (FRCAE) en RDC. Faisant suite à cette décision, la signature de l’accord portant statut cette force va intervenir à Kinshasa le 8 septembre 2022.

1.3. Dans cette perspective, deux contingents comportant chacun une centaine de militaires kényans ont atterri à Goma respectivement le 12 et le 16 novembre 2022, soit deux semaines après la prise de la Commune de Rutshuru, le 29 octobre 2022, par le M23.

1.4. Ce déploiement est suivi d’une visite du président kenyan William Ruto à Kinshasa, le 21 novembre 2022 ; et, après des échanges avec le président congolais, le président du Kenya déclare que cette force régionale a pour mandat d’imposer la paix aux groupes armés récalcitrants[1]. Selon le ministre congolais des affaires étrangères, Christophe Lutundula, le mandat de cette force est -sans équivoque- “offensif”[2]. C’est dans cette logique que ce déploiement a ravivé l’espoir des Congolais quant au rétablissement de la paix à l’Est de la RDC en général et dans la province du Nord-Kivu, en particulier.  

1.5. Cependant, le M23 n’a cessé de gagner du terrain en dépit de la présence de la force régionale de l’EAC. Cette progression du M23 s’accentue malgré la signature, par les protagonistes à ce conflit, d’une feuille de route pour la paix à Luanda, en Angola, en juillet 2022. Pour rappel, cette feuille de route appelle à la cessation des hostilités à compter du vendredi 25 novembre 2022 à 18h00 et au retrait du M23 des territoires occupés pour rejoindre ses positions initiales faute de quoi la force régionale devrait l’y contraindre. 

1.6. Au mieux qu’il a pu, le M23 s’est retiré de quelques localités qu’il a cédées à la force régionale aux fins de créer une zone tampon. L’armée congolaise s’est ainsi trouvée empêchée de retourner sur les zones qui avaient pourtant été libérées par le M23 conformément à l’esprit de la feuille de route signée par les protagonistes à Luanda. Et, plutôt que de retourner à ses positions initiales, le M23 a continué, avec succès d’ailleurs, ses conquêtes d’autres localités sans que la force régionale engage une offensive pour l’arrêter.  Tout en encourageant la poursuite du déploiement de la force régionale à l’Est de la RDC, le 20e sommet des chefs d’Etat de l’EAC tenu à Bujumbura le 4 février 2023, recommande cependant de privilégier la voie politique pour résoudre la crise à l’Est de la RDC.

1.7. Toutefois, la situation est d’autant plus inquiétante que le M23 progresse actuellement dans le territoire de Masisi et occupe la bourgade stratégique de Kitshanga et toutes les localités sur la route allant vers Goma jusqu’à Kirolirwe, situé à une cinquantaine de kilomètre de la ville de Goma.

1.8. Ces nouvelles conquêtes impliquent le blocage d’une troisième source d’approvisionnement de la ville de Goma en produits vivriers en plus de celles de Rutshuru et de Lubero ; et, traduisent ainsi l’intention du M23 de l’asphyxier complètement.

1.9. Partant, le désespoir conquiert la population de Goma et conduit à l’amplification des frustrations au sein de l’opinion congolaise. Pour cette dernière, la force régionale est sinon complice, du moins inutile. Et, c’est à elle de prouver le contraire.

La journée ville morte décrétée le 06 février 2023 découle donc de la méfiance entretenue par la population à l’égard la force régionale, celle-ci étant jugée passive.

2. Evaluation : le 06-07 Février 2023, journées ville-morte ou journée de violences

2.1. La méfiance grandissante de la population vis-à-vis de la FRCAE débouche sur des appels à manifester pour demander son départ au cas où elle ne peut pas s’engager dans le combat contre le M23. En date du 06 février 2023, la ville de Goma a été en agitation suite à une série des manifestations des acteurs des mouvements citoyens et leurs sympathisants. Il s’agit pour ceux-ci de répondre à l’appel de leurs leaders pour l’organisation d’une série des manifestations contre la passivité de la force régionale de l’EAC. Hélas, elles ont tourné à la barbarie de rues.

2.2. Ainsi, les grandes artères de la ville de Goma ont été barricadées par des tas de pierres, de branches d’arbre, d’étalages de petits commerces et de poubelles. Il a été question de bloquer la circulation pour obtenir la paralysie des activités. Il s’est observé des mouvements de plusieurs personnes, généralement jeunes, dans les rues exigeant le départ de la force régionale.

2.3. Néanmoins, plusieurs cas de dérapage ont été enregistrés au cours de ces actions protestataires :

  • Des boutiques des nationaux vandalisés et pillés pour n’avoir pas suivi le mot d’ordre;
  • Des commerces supposés appartenir aux rwandais ont été vandalisés et pillés ;
  • Une église supposée fréquentée à majorité par les membres de la communauté tutsi congolaise a été prise à partie.
  • Le domicile d’un ancien dignitaire du RCD-Goma, M. Gachaba, a été attaqué ;
  • Imposition des taxes informelles par les jeunes sur de multiples barrières improvisées en guise d’autorisation de circulation ;
  • etc.

2.4. Pour tout considéré, les manifestants ont atteint, à leur manière, leurs objectifs.  L’autorité provinciale en a pris solennellement acte et promis de transmettre le message à sa hiérarchie.

2.5. Différents facteurs peuvent expliquer les cas de dérapage observés. Il s’agit entre autres de :

  1. La crise du civisme dans le chef des manifestants

Alors qu’on s’attendait à une ville-morte, il se fait voir que le comportement des manifestants traduit, comme indiqué au paragraphe 2.3. Ci-haut, un défaut évident du civisme. Celui-ci peut être expliqué par plusieurs raisons, notamment 👍

  • Une jeunesse majoritaire désœuvrée ;
  • La prolifération des enfants de rue, conséquence de l’insécurité dans les milieux ruraux ;
  • L’ignorance des textes légaux régissant les protestations populaires ;
  • L’éventuelle instrumentalisation de certains groupes de pression par quelques hommes politiques (surtout en cette période pré-électorale) ;
  • etc.
  1. L’absence de coordination des acteurs de la manifestation.

Les acteurs de ces manifestations ont souffert d’une absence de coordination. En effet, tout porte à croire que les initiateurs de la manifestation allaient en ordre dispersé dans une diversité des raisons de la manifestation. Il s’est observé la présence des enfants pendant les manifestations. Nombre d’entre eux sont ceux ayant élu domicile dans les rues de Goma.

Notons également la présence des enfants issus des familles en déplacement dans le territoire de Nyiragongo qui errent dans la ville à longueur de journée. 

  1. La passivité des services de l’ordre.

Les débordements des manifestants résulteraient aussi de la quasi absence des services de l’ordre pour leur encadrement. Dès lors, les manifestants se sont, pour la plupart, transformés en fauteurs de troubles du fait de l’absence de services de l’ordre pour les en empêcher.  L’impression que le manque de réactivité, et partant du contrôle de la violence des manifestations par les forces de l’ordre, donne, est que la rue est en train de prendre le pouvoir dans la ville de Goma. Le caractère non violent des manifestations vécues par le passé dans cette ville a cédé la place à la violence populaire. Il est important de s’interroger à quel moment ce changement s’est opéré, qui en sont les acteurs et quelles sont leurs motivations. 

d.  L’interpellation à Bujumbura du commandant de la force régionale par le chef de l’Etat congolais.

Au sortir du sommet de Bujumbura du 4 février 2023, le chef de l’Etat congolais avait interpellé le commandant kényan de la force régionale, demandant à ce dernier d'être plutôt à l’écoute de la population. Et, que ce serait désolant que cette dernière s'apprenne à la force régionale. Aujourd’hui, comme en juillet 2022 contre la force des Nations-unies au Congo, le soulèvement populaire est précédé par un discours des autorités politiques. Mais aussi, comme en 2022, il y a la passivité des forces de l’ordre à l’encadrement des manifestants.

    e.  Des messages audiovisuels incitatifs à la radicalisation.

Il y a lieu de noter qu’avant, pendant et après le soulèvement de la population des messages audiovisuels d’incitation à la radicalisation ont envahi les réseaux sociaux :

  • “Prenez-vous en charge” de feu Laurent Désiré Kabila ;
  •  “La terre de l’Est de la RDC est prédestinée depuis la création au peuple Banyamulenge au tant qu'Israël l’est pour les juifs et les Etats-Unis pour les Américains. “ Message d’un pasteur tutsi (Munyamulenge).

3. Quelques recommandations.

3.1. Il est évident que la force régionale peut constituer un acteur important dans le désamorçage de la crise qui prévaut dans cette partie du pays.  Cependant, elle doit, pour être efficace, tirer des leçons des dernières manifestations.   A cet effet, il y a lieu de formuler quelques recommandations au niveau national et au niveau régional et international :

3.2. Recommandations aux acteurs nationaux

  • Communiquer autour de la force régionale de la communauté des Etats de l’Afrique de l’Est serait appréciable. Il s’agit notamment de communiquer sur sa composition, son mandat, ses objectifs et sa durée
  • Promouvoir les échanges réguliers entre l’autorité provinciale et celles de la force régionale, d’une part, et la société civile, d’autre part au sujet des enjeux nationaux et régionaux
  • Mettre à contribution les médias et les leaders politiques comme ceux de la société civile pour l’éducation à la citoyenneté responsable de la population, surtout les leaders des jeunes et les autorités de base
  • En marge de cette éducation, se mobiliser en faveur de l’application des textes légaux, sans complaisance, réprimant le vandalisme, le tribalisme et la xénophobie (

3.3. Recommandation aux acteurs régionaux et internationaux

  •  Raviver les relations entre le Rwanda et la RDC

Fait à Goma, le 07.02.2023

 

La Direction de Recherche

 

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